Le Corbusier : un habitat équipé et meublé aux quatre coins du monde
Les crises se succèdent dans le monde, et chaque fois, l’architecte y voit une opportunité de pousser toujours plus avant sa vision d’une nouvelle manière de penser l’habitat. La crise de 1929 est pour lui l’occasion de revoir l’accroissement de population en milieu urbain. Sa grande idée de villa radieuse naît dès cette époque afin d’offrir un lieu de vie qui combine les quatre fonctions nécessaires au bonheur de ses semblables : habiter, travailler, se cultiver (le corps et l’esprit) et circuler. S’il ne fait pas encore le poids face à ses confrères d’outre-Atlantique, il est tout de même invité à New York par la fondation Rockfeller et fait une tournée de conférences au Brésil. Il faut dire que son agence accueille et forme de jeunes talents du monde entier. De plus, alors que la crise frappe la France et que nombre d’architectes peinent à remporter des commandes, ce n’est pas le cas pour Le Corbusier qui travaille à bas coût. Usant de matériaux robustes et d’une technique permettant de les mélanger à d’autres plus prisés, il peut bâtir en béton armé, maçonnerie, pierres, briques de verre, panneaux de bois, etc. L’originalité est au rendez-vous mais s’adapte surtout au budget des commanditaires comme à leurs goûts. Même la CGT l’invite à exposer ses idées face à ses membres captivés par cet homme qui prône une architecture sobre et accessible à tous.
La Seconde guerre mondiale bouleverse autant sa vie que celle de bon nombre de français. Après avoir fui dans le sud, il revient en zone occupée, persuadé qu’il peut hâter la révolution industrielle de l’habitat. Aveuglé par sa vision, il ignore sciemment le régime politique du moment et ses répercussions. Cela lui vaut des inimitiés lors de l’épuration dont seule l’amitié d’André Malraux permet de le préserver. Le Corbusier est opiniâtre et entêté. Plus encore qu’en 1919, il voit l’urgence de rebâtir et sait que ses techniques, son art du bâti sont prêts pour ces temps de renouveau. Il faut reconstruire en pensant aux gens, pour leur l’espoir. Sa cité radieuse à Marseille en est le projet le plus abouti. Cet immeuble d’habitations est installé sur pilotis. 360 appartements en duplex auxquels on accède par des rues intérieures. À mi-hauteur, on trouve tous les équipements nécessaires à la vie en communauté : commerces, hôtel, restaurant, librairie, etc. Sur le toit-terrasse laissé en libre accès sont ouverts des structures publiques : école maternelle, gymnase, piscine, piste de course, auditorium en plein air.
Jusqu’à sa mort, en 1965, sa notoriété l’envoie également bâtir tout autour du globe : Bergame, Bogota, Inde, USA, Japon.
L’héritage de l’esprit corbuséen
Dès ses débuts, Le Corbusier s’attacha à un courant artistique rejetant les anciens codes. Comme les Impressionnistes avant eux, les partisans de l’Art déco, du Bauhaus puis d’un art moderne puriste se tournèrent vers une parfaite corrélation entre le fond et la forme, encouragés par l’apparition de nouvelles matières et de l’industrie de fabrication en série. Coûts, rapidité d’exécution, quantité, matériaux différents, cette production est alors incompatible avec une décoration ornementée. Le Corbusier a compris très tôt combien le XXe siècle serait une période prolifique de progrès social et matériel à condition de suivre la bonne direction idéologique et pratique. L’ascétisme, la rigueur qu’il appliqua à sa vie et voulut exprimer dans ses créations servaient une vision en avance sur son temps : placer l’homme au cœur d’un lieu fait pour la lumière, l’espace, le jardin, grâce à des matériaux comme l’acier et le ciment armé qui permettaient le plan libre. À l’image d’une bonne chaise ou d’un fauteuil de bureau performant, son grand principe architectural reposait sur le couple piètement-support. Les planchers étant supportés par de fins poteaux disposés en trame, les façades étant libérées de leur fonction structurelle, l’organisation intérieure était libre. Cette absence de division d’espace par des murs porteurs et la totale liberté d’aménagement mobilier est aujourd’hui la règle d’or des open spaces, répondant à l’esprit de simplicité fonctionnelle et de durabilité structurelle. La chaise longue LC4 et le fauteuil à dossier basculant LC1 alliant confort et allure design, piètements chromés et revêtements cuir en sont aussi la parfaite illustration, sans cesse copiée et réinventée.
Le Corbusier est la figure emblématique d’un art moderne français qui explosa après des décennies d’hésitations et de tâtonnements. Entre rupture mal acceptée avec les anciens codes et révolution majeure des mentalités, son architecture, son art du mobilier ont finalement posé les bases d’un design devenu omniprésent.